Mon époux et moi on savait qu’on avait une chance sur quatre, à chaque enfant, d’avoir un enfant atteint de la drépanocytose.Une des remarques qui m’est beaucoup faite, c’est “C’est de l’égoïsme, d’avoir des enfants, quand on sait qu’on a des chances d’avoir des enfants drépanocytaires”. Chacun interprète les choses comme il veut. Frédéric et moi, on voulait une grande famille, on était persuadés qu’entre les progrès de la science et ce qu’on était en mesure de donner à un enfant, on pourrait leur offrir une chouette vie, et c’est ce qu’on fait tous les jours.
Les défis de la drépanocytose : Vivre avec la douleur et l’incertitude au quotidien
Je pourrais passer la nuit à lister toutes les incidences que cela a sur le corps de mes enfants et sur la dynamique de la famille, mais je vais me concentrer sur les défis majeurs.
- L’omniprésence de la douleur. Ici, lorsqu’un enfant se cogne, a mal à la tête, a mal au ventre, les warnings de tout le monde s’allument et on se dit “ça pourrait être le début d’un vrai problème”
- L’immense sentiment d’impuissance. J’aurais aimé que l’amour suffise, mais être la maman d’enfants atteints de drépanocytose m’a permis de comprendre que l’amour, ça ne suffit pas toujours.
- Il y a, en permanence, la pensée “Demain ne nous appartient pas”. Ça a du bon comme du mauvais. Le point positif, c’est qu’on est très ancré dans le présent, tous. Le point négatif, c’est qu’on sait que les moments chouettes peuvent s’arrêter à tout moment, parce qu’il y a une crise.
Me rappeler que je suis toute petite par rapport à l’immensité de ce qui est autour de moi, qu’il y a des choses qui sont hors de mon contrôle, que je ne suis mieux ou plus que personne, me permet d’arriver plus humble dans les interactions que j’ai, que je nourris avec les gens que j’accompagne.
Les joies cachées : Cultiver la résilience, la gratitude et la conscience corporelle:
Voici quelques conséquences positives, auxquelles on ne pense pas:
- La résilience. Après une crise, on rentre à la maison, on se douche, on s’habille, on va à l’école en fait, parce que les copains et le savoir attendent à l’école… On rebondit et on continue, parce qu’il y a la vie qui nous attend.
- La gratitude. Lorsque les autres sont désolés de voir mon fils à l’hôpital, nous on se dit “wow, alléluia, ça fait presqu’un an, qu’il n ‘y a pas eu une crise” et c’est ce sur quoi on se concentre.
- L’assertivité. La capacité à dire: “Voilà ce qui se passe, ce dont j’ai besoin, voilà comment tu peux m’aider”. Être capable de formuler clairement nos attentes, ça change vraiment tout, d’un point de vue familial.
- La conscience de notre corps et le rapport à notre corps. On a tous une conscience de notre corps qui est supérieure à la moyenne Et avoir une meilleure conscience du corps permet d’avoir une meilleure conscience de soi. Aujourd’hui, mes enfants et nous tous sommes extrêmement précis et pointus sur les émotions qu’on ressent, sur les sentiments qu’on éprouve. On a un rapport au corps qui est très bienveillant, très dépassionné et extrêmement intime.
- Notre niveau d’intimité familiale. La drépanocytose nous a permis de développer un niveau d’intimité et d’intuition dont on est extrêmement fier. On est une famille soudée, un clan. On est 7 qui formons un bloc difficilement ébranlable.
Acceptation et empowerment : Comment transformer les défis en opportunités de croissance ?
Les circonstances sont neutres: ils sont atteints de cette maladie. Mais ce qu’on en fait dépend de nous, et je considère que ce qu’on en fait, c’est chouette, par rapport au point de départ et par rapport à toutes les prédictions négatives qui nous ont été faites sur le chao infernal que serait la vie pour eux !
Il y a toujours cette facilité, cette tentation de croire que c’est plus simple pour l’autre, que l’autre a eu des cartes qu’on n’a pas eu au départ, qu’on est le seul à avoir des épreuves, que notre situation est plus dramatique que celle de l’autre. Et tout ça rappelle aux gens que je suis un être humain. Et c’est magique, parce que ça veut dire que si c ‘est possible pour nous, c’est possible pour n’importe qui. Je n’ai rien de plus qu’une autre femme qui déciderait d’avoir un succès insolent.